Fernand Van Horen est plus connu en Belgique sous le nom d'artiste Horn. Dès 1936 et pendant plus de 35 ans, il illustra les pages du journal "Le Soir" par ses dessins et caricatures. Ses illustrations des étapes du Tour de France sur la dernière page du "Soir" sont devenues célèbres. En 1940, Fernand Van Horen est lieutenant de réserve au 2ème Lancier, détaché auprès de l'État Major. Il entre le 1er mars 1941 dans l'Armée Secrète et dès lors participe activement à la résistance à l'occupant. Le 24 février 1943, suite à la dénonciation d'un traître, il est arrêté avec 12 de ses camarades par la Gestapo. Il est aussitôt placé au "Secret" en tant que prisonnier "Nacht und Nebel" (Nuit et Brouillard). Commence alors pour lui un long voyage au plus profond de l'enfer nazi.
témoignage de Fernand Van Horen, dit "Horn"
Arrêté par la Gestapo le 24 février 1943, je suis placé au "Secret", c'est-à-dire seul dans une cellule. C'est un chance car la moitié de notre groupe est quant à lui envoyé à Breendonck... On en connaît le régime...
J'ai subi un interrogatoire au siège de la Gestapo, avenue Louise. Le détenu placé au "Secret" en prison n'a droit à aucun colis. Mais me voila bénéficiant d'une nouvelle chance: un des soldats allemands accompagnant la distribution des repas à l'entrée des cellules prétend que je suis un boxeur; on le lui a dit! Malgré mes dénégations, il insiste et plein d'admiration il me fait verser une double ration (à renouveler chaque jour)! Inutile de dire que je ne nie plus!
Passer de longues journées en solitaire dans une cellule de prison, ce n'est pas réjouissant! Heureusement je me suis procuré des cahiers d'écolier, un crayon et un taille-crayon... Et mon imagination de dessinateur peut se laisser aller allègrement. (Rappelons que mon premier croquis dans les pages du "Soir" date de 1936).
L'isolement des prisonniers placés au "Secret" n'est pas total: on peut communiquer avec les voisins de cellule par le moyen des tuyaux de chauffage. C'est ainsi qu'on m'annonce notre prochaine comparution devant un tribunal militaire de la Luftwaffe, en précisant même l'adresse: rue des Quatre Bras! Mais bientôt, changement de programme: c'est le départ pour l'Allemagne! Nous serons paraît-il jugés à Berlin par un "Sonder Gericht" c'est-à-dire un Tribunal du Peuple.
Première étape de notre voyage à Essen, dans une prison qui se dresse parmi les ruines de la ville. Couchés à même le sol, à quatre par cellule, nous sommes secoués durant toute la nuit par le bombardement incessant de l'aviation alliée... mais nous ne sommes pas touchés. Le lendemain, nous partons pour Esterwegen.
EsterwegenEsterwegen est un camp situé près d'Emden et Papenburg, dans une région faite de marécages et de tourbières. Cette région porte le "doux" nom de "Sauerland". Voici les baraquements. Le régime n'est pas fameux et la nourriture plutôt maigre mais il y a pire... Régulièrement, des camarades sont emmenés pour être jugés. On ne les revoit plus...
Baraques à Esterwegen
Je passe ma journée à faire le portrait de ceux qui le désirent, à condition bien sûr qu'ils me fournissent le papier et les crayons. J'ai fait des dizaines, si pas des centaines de ces dessins. Je passe deux Noël à Esterwegen...
Et puis un jour, me voilà transféré à Bayreuth, dans un ancien couvent reconverti en prison et situé tout près du fameux théâtre de Wagner. Un beau matin, une équipe de gestapiste y descend en force et se met à interroger tous les détenus. Bien vite, nous réalisons qu'ils n'ont aucune base pour les interrogatoires! Nous en concluons que les bombardements ont dû détruire nos dossiers. Ils ont donc affaire à une bande d'innocents qui se demandent pourquoi ils sont là! Mais la Gestapo ne se laisse pas berner aussi facilement: le 10 mars 1945, nous partons pour un camp de la mort...
Flossenbürg
Vue générale du camp, photo probablement prise le jour de sa libération
Flossenbürg est situé dans la Basse Bavière, plus exactement en Franconie, sur les monts de Bohème. La majorité des prisonniers sont Russes ou Polonais. Il règne dans le camp un climat absolument inimaginable. On ne peut s'imaginer la bestialité qui peut animer certains êtres humains. C'est réellement l'enfer! Il y a bien peu de survivants parmi ceux qui sont passés par là.
Introduits dans une baraque, nous sommes immédiatement initiés à l'ambiance du camp en assistant à une scène de coups. Nous ignorons ce qu'avait pu faire la victime pour mériter cette avalanche de coups de fouets. Coups, passages à tabac jusqu'à ce que mort s'en suive, pendaisons, tout cela est monnaie courante. La menace la plus fréquente hurlée par les "kapos" est "Krematorium"!
Dès le lendemain de notre arrivée, les corvées commencent: transport de pierres d'une colline à l'autre, déplacement de troncs de sapins, tout cela rythmé par des hurlements et des coups de matraques appliqués au hasard. Mais une fois de plus, une chance se présente à moi, la plus extraordinaire!
Un "kommando" à Flossenbürg
Le sac qui contenait mes effets a été jeté dans la chaufferie de la salle de douche, une pièce fréquentée par les "kapos". Un chef de baraque, un droit commun allemand, trouve mes cahiers de la prison de St Gilles. Ces cahiers contiennent une quantité de croquis et mon nom figure sur la couverture. Aussitôt, le personnage me fait rechercher parmi les derniers arrivés. Voici la proposition qu'il me fait: à condition de faire son portrait et de décorer les murs de son local de dessins humoristiques, il m'extrait du groupe qui devait partir quelques jours plus tard (ce qui signifie la mort assurée). Je consulte mes camarades et tous m'engagent vivement à accepter ce marché, et à leur trouver éventuellement un possibilité d'éviter le pire.
Hélas, dès le deuxième jour de ce régime de faveur, voila la dysenterie qui fait son apparition, avec toutes les souffrances qu'elle entraîne. En ces circonstances, les SS nous donnent un délai de quatre jours pour guérir... sinon c'est le crématoire. Le fameux chef de bloc amateur de dessins m'expédie à l'infirmerie.
A l'infirmerie, aucun soin bien sûr! Le seul avantage de cette antichambre du crématoire, c'est le silence. On me fait subir une douche glacée puis je m'introduit dans un "lit", c'est-à-dire une sorte de caisse déjà occupée par un camarade gémissant qui bientôt pique une crise et meurt.
Je passe trois jours et trois nuits, nu comme un ver, au côté de ce cadavre qui se recroqueville de plus en plus. Je suis tellement faible que je n'ai plus la force de le faire basculer hors du "lit". Pourquoi donc le gardien du local (un Russe) ne fait-il pas évacuer ce corps? Très vite je comprend: ce voisin congelé et inerte représente pour lui 3 rations de nourriture supplémentaires fraudées à la distribution...
Les camarades de mon groupe ont été emmenés en kommando: ils doivent détruire les bombes alliées qui n'ont pas explosé. Curieux!... Les SS ont quitté le camp, une première fois seuls; puis sont revenus, ramenant plusieurs des leurs blessés. Durant la nuit qui suit, plusieurs centaines de prisonniers arrivent d'un autre camp. Ils sont fourbus, exténués. Ils sont obligés de passer la nuit dehors, à même le sol. Le lendemain, un nombre impressionnant de cadavres jonchent l'espace enneigé entre les baraques.
Brusquement, des SS en armes font irruption dans l'infirmerie! Est-ce la fin? L'exécution? Non! Ils s'en vont, emmenant tous les hommes qui peuvent se tenir debout. Nous retrouverons plus tard plusieurs de ces malheureux, abattus à 100 mètres au-delà de la sortie du camp... La journée se passe dans un silence de mort, une attente angoissée. Vont-ils revenir, comme ils l'ont déjà fait?
Le lendemain, un doux soleil printanier me permet de faire une petite sortie. Je me traîne en direction de la place d'appel avec pour tout vêtement une couverture raidie d'excréments. Brusquement, au loin nous entendons une décharge d'arme automatique. Un coup d'oeil sur la colline: plusieurs centaines de militaires casqués s'y trouvent! Ils reviennent!
Au même instant un blindé défonce la grille d'entrée du camp... Nous voyons sur son flanc une étoile blanche!!! Ceux que nous prenions pour des SS sont des américains!!!
La joie est indescriptible,... Mais bientôt, je suis victime d'une lourde défaillance qui me fait me traîner jusqu'à ma "caisse" de couchage, cet immonde fumier! Nous sommes le 23 avril 1945.
Libération de Flossenbürg: pour eux, elle arriva trop tard...
Bientôt, le premier visiteur américain s'introduit dans la salle. Je sers d'interprète car tous les autres occupants, Russes et Polonais, ne connaissent pas un mot d'anglais. Après un bref échange de propos, où le brave garçon ne semble pas pouvoir croire à la réalité de l'horrible décor qui se présente à lui, je lui demande un papier et un crayon et le prie de bien "prendre la pose" pour un instant. Et voilà mon gaillard emportant en sautant de joie le croquis que je viens de faire de lui.
Grosse erreur de ma part! Dès la minute qui suit, c'est un défilé ininterrompu d'amateurs de croquis! Et cela continue, malgré de fréquentes poussées de fièvre... Au fur et à mesure de l'avance des troupes, on se passait le mot!
Enfin, il y eu le retour au pays avec deux "N.N." belges. Nous sommes ramenés par l'équipe de "Paras" envoyée par le ministre Van Zeeland. C'était le 7 mai 1945.
En guise d'épilogue...
Vingt-sept années ont passé, dans la paix retrouvée, lorsque, dans l'après-midi du 1er septembre 1972, je reçois un appel téléphonique à mon domicile, appel en provenance de l'hôtel "Palace" à Bruxelles...
Il s'agit d'un touriste américain qui voudrait me rencontrer. Nous nous sommes connus, paraît-il, en 1945 en Allemagne. Allons-y voir!
A la réception de l'hôtel, un homme attend, tenant bien en vue un croquis en couleur représentant ses traits. C'était un de mes libérateurs de Flossenbürg! Que venait-il faire là?
L'histoire vaut la peine d'être contée. En 1945, dans le chaos des derniers mois de la guerre, les célèbres chevaux Lipizzans de la fameuse Ecole Espagnole de Vienne sont perdus dans la nature... Ces fantastiques chevaux sont convoités tant par les Allemands que par les Russes. Le colonel Podhajsky, commandant et responsable de l'École est allé demander le soutien de ce "cavalier" qu'est le général Patton. Celui-ci fait immédiatement envoyer un peloton de ses hommes avec pour mission de récupérer les chevaux, mission qu'ils mèneront à bonne fin.
C'est à l'occasion du 400ème anniversaire de la fameuse Ecole Espagnole de Vienne, (le manège de bois), que les survivants de l'équipe de sauvetage ont été invités par le gouvernement autrichien très reconnaissant. Ce voyage et cette réception grandiose sont décrit dans une charmante lettre qui nous a été adressée par l'épouse de mon touriste du Palace Hotel , Mrs Willard-Burdick, de Jackson dans le Michigan, U.S.A. Elle accompagnait son mari.
Et voila la raison de leur présence: leur première escale en Europe était Bruxelles. Mon nom et adresse figurant au dos du croquis ont dirigés les recherches!
Cette seule soirée passée en leur compagnie aux fêtes de l'îlot sacré, au coeur de Bruxelles, leur fut mémorable. Le lendemain, par la route, ils se dirigeaient vers Vienne, retrouvant une partie de leur trajet de la campagne 1945...