Un libérateur français témoigne

Note: ce message fut envoyé en 1998 à Chuck Ferree, suite à une échange de courrier électronique. Chuck avait demandé à Dominique de raconter ce que son père, James Choukroun, ancien combattant français de la célèbre 2ème Divivsion Blindée du général Leclerc, avait vécu lors de la libération de Dachau. Nous publions ici sa réponse dans son intégralité.


Cher Chuck,

C'est bien moins facile que je ne le croyais, et en fait je n'ai jamais parlé à quiconque de ce que mon père m'a raconté parce que cela est très dur. Mon père était un français né à Oran, en Algérie, d'un père juif. Il fut mobilisé en juin 1940 et il m'a dit que lorsque la France a capitulé, les soldats furent renvoyés chez eux à l'exception des juifs. Cela n'apparaît bien sûr pas dans les Livres d'Histoire mais en fait l'armée française ne traitait pas vraiment bien les soldats juifs. Les jeunes hommes ainsi retenus furent employés à la construction de routes pour l'armée française. Il est sûr que les conditions de vie n'étaient pas aussi dures pour eux qu'en Europe. Néanmoins, la nourriture était insuffisante et le travail très dur. Il fut finalement renvoyé chez lui puis rappelé quelques mois plus tard. Il revint parce qu'il n'avait pas d'autre choix mais il s'échappa quelques temps après. Il fut alors considéré comme déserteur (les autorités françaises d'après guerre annulèrent cela par après). Je ne pense pas qu'il devint combattant par choix et je me suis toujours demandé s'il aurait rejoint les Forces Française Libres s'il n'y avait eu que lui en cause. Mais il ne pouvait rester à la maison et il rejoignit donc la 2ème Division Blindée du Général Leclerc le 31 mai 1943. Son numéro matricule était le 18707 (Je connais d'autres détails se rapportant à son parcours jusqu'en août 1944 mais cela n' a pas vraiment d'intérêt ici). Son unité, ainsi que d'autres, a prit part à la libération de Paris - où mon père rencontra ma mère. Je ne connais pas le moment exact de leur entrée à Dachau parce qu'ils ne tenaient pas vraiment à jour leurs journaux de campagne lorsqu'ils combattaient. Cela devrait être facilement vérifiable dans les archives de la division. De ce dont je me souviens, il était un de ceux qui libéra Dachau. J'imagine que cela fut enregistré dans les archives.

Comme je te l'ai expliqué précédemment, j'ai demandé à mon père de me raconter cela en 1968. Il était très réticent à parler de quoi que ce soit à ce propos mais j'ai insisté et il me répondit qu'il n'en parlerais qu'une seule fois et que je ne devais jamais plus lui demander d'en reparler par après. Ce qui s'est passé, me dit-il, c'est qu'un prisonnier fut assigné à chaque soldat avec l'ordre pour ce dernier de veiller sur lui. Ils ont partagé leurs vêtements et leurs maigres rations avec les prisonniers. Le prisonnier dont mon père avait la charge avait été torturé à de très nombreuses reprises. Ses bourreaux voulaient qu'il leur avoue quelque chose et, pour le faire parler, ils lui avaient appliqué un fer rouge sur une joue puis sur l'autre. Lorsqu'un côté était plus ou moins guéri, ils recommençaient à nouveau.

Mon père était hors de lui à ce moment, et il l'était toujours au moment où il m'en parla. Il m'a dit que les gens qui vivaient à proximité du camp prétendaient ne rien savoir de ce qui s'y passait et qu'ils furent forcés de le visiter. Il m'a dit également que s'il avait eu à ce moment 50 SS désarmés en face de lui et une mitraillette en main, il les aurait tous tué. Il faut garder à l'esprit que mon père était un soldat combattant d'autres soldats et que jamais il ne s'était trouvé dans une situation qui l'aurait poussé à tué des soldats désarmés ou des civils. En tant que jeune homme, il savait ce que représentait la mort depuis que son père avait été assassiné en 1937. Ce n'était pas le genre d'homme à se sentir invulnérable parce qu'il était armé, sa seule ambition était de rentrer chez lui en un seul morceau.

Lorsqu'on pense que les soldats partagèrent leurs vêtement et leurs rations (et ce n'était que des rations d'urgence!) avec les prisonniers, il est facile d'en déduire que les autorités militaires n'étaient pas vraiment préparées à ce à quoi elles faisaient face.

Il m'a probablement dit beaucoup plus à propos de tout cela mais je ne m'en souviens plus. Le souvenir de cet homme torturé prenait sans doute la place centrale dans sa mémoire. J'étais adolescent à cet époque et ce qui me choqua était d'entendre mon père parler de vouloir tuer des gens. Cela prouve combien tout cela était démoniaque, et il le sentait.

Personne ne devrait penser à nier ce qui s'est passé. Je pourrais encore comprendre les raisons de ceux qui appartenaient à la première génération, mais pourquoi nier aujourd'hui? Dans quel but? Les nazis eux-mêmes ont tout enregistré en détail, de quelles autres preuves a-t-on encore besoin? Quelquefois, je lis que certaines personnes ne comprennent pas comment Yahweh a permit cela. Je ne dirais pas cela. Les gens qui ont organisé tout cela étaient libres dans leur choix, et ils ont choisi le mal. A présent nous savons que le mal était derrière tout cela. Peut-être sera-t-il maintenant plus facile de faire le bon choix...

Dominique Zaccari