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Traduit par S. Staroswiecki Des dizaines d'années sont passées.
Mais lesquelles ?
Des années de destruction et d'extermination.
Des mers de sang ont coulé sur les routes polonaises, qui, auparavant, m'amenaient dans les petits villages des grandes communautés juives de Pologne.
Et męme ces lieux, qui, par miracle avaient été préservé de la tempęte dévastatrice qui avait fait vaciller sur son socle les bases millénaires du mode de vie juif enracinés dans les villages- ces lieux aussi avaient perdu leur caractère juif, comme si il n'y en avait jamais eu Va Bien au contraire va te rappeler aujourd'hui à quoi ressemblait il y a à peine vingt ans un shtetl, męme à proximité de Varsovie comme Kałuszyn par exemple.
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A peine arrivé à la gare, on remarquait avec émotion, que cette région regorgeait de juifs. On y percevait une agitation unique, particulièrement la veille de Shabbat, quand les juifs se pressaient, de retour de la grande ville et des villages environnants. Tous et tout était intimement lié, chaleureux, familier, familial, son caractère propre : La langue, les cris, le fait de s'interpeller, les vergers et les arbres, les hommes pleins de vivacité, les femmes confuses, l'habillement, la façon de se comporter, de gesticuler, les visages les surnoms, si juifs, si spécifiques.
Il m'est arrivé très souvent de descendre en train à Kałuszyn, situé à un jet de pierre de Varsovie, en particulier le shabbat matin. Il fallait exploiter à fond le temps de la visite, que ce soit pour une réunion avec le comité, ou une réunion du parti ayant trait à des problèmes locaux. Il fallait régler des litiges, rendre compte de la situation générale du parti et, excusez-moi du peu, s'occuper d'un camarade venu du Centre męme. Il devait tout écouter jusqu'au bout et avoir réponse à tous les sujets comme il est dit : בחינת תשבי יתרץ קושיות ואבעיות
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Au village, on savait plus ou moins que le conférencier de Varsovie devait venir le Shabbat męme, au matin. Cependant, on ne devait pas, et clairement, on ne voulait pas rentrer au vu et au su de tous avec une charrette au village. Pourquoi donc faire du mal ou se brouiller avec le village ? Alors on faisait l'effort de descendre de la charrette dans les limites permises à Shabbat[2], avant le village et de poursuivre à pied comme s'il s'agissait d'une promenade du dimanche.
On profitait du bon air, on était dehors, sans déranger les juifs, qui étaient vraisemblablement au męme moment de retour de l'office à la maison d'études.
Sur la route de la gare, j'avais déjà décidé de m'informer auprès d'amis, ceux qui attendaient, de toutes les affaires qui posaient problème au comité et les amis.
On me conduisait chez les Grodzhitski, chez un des deux « Shaye ». Au début, chez le « petit Shayele », et plus tard, chez le « grand » Shaye.
Chez le « petit » Shayele Grodzhitski, je retrouvai habituellement son beau-père, reb Mordekhai Yehuda Domb, un juif pieux, élevé dans la Torah, également versé dans les affaires profanes. Aussi bien, si je ne me trompe, c'était un sioniste appartenant à un parti du genre Mizrahi. Souvent, nous avons eu des discussions animées, ouvertes, sans contrainte. Parce que nous nous respections mutuellement, (lui, bien sûr, suivait la coutume de l'hospitalité du Shabbat) nous essayions de ne pas nous laisser entrainer dans des débats, mais tout simplement de prendre plaisir l'un l'autre à dire des bons mots, à trouver le mot juste, une idée ou quelque chose de nouveau.
Shabbat midi je mangeais séparément de la jeune génération, afin de ne pas froisser mon hôte, ou, à ne Dieu plaise, provoquer la gęne de mon beau-père.
Chez le « grand » Shaye, le fils de Mishke Rokhel, je retrouvais avec plaisir la mère, une femme calme, une gracieuse mère juive. Il s'avéra qu'elle était au courant de toutes nos activités illégales, et devait, la pauvre, louvoyer, entre ses deux enfants : celui qui était bundiste et celui qui était membre du Poale Sion. Elle le faisait avec tact, avec compréhension, avec une chaleur toute maternelle qui s'apparente plus à de la compassion qu'avec du jugement.
Il me revient en mémoire avoir visité Kałuszyn plusieurs fois. Il existait une organisation active, énergique, qui avait gagné une notable influence au shtetl. Elle occupait des postes importants au sein de la municipalité dans les activités municipales et sociales. Elle était active au sein de la classe ouvrière, auprès de la jeunesse, elle possédait son propre cercle théâtral et menait des activités culturelles diversifiées.
Les camarades de Kałuszyn avaient institué les fętes prolétaires et les célébrations des organisations avec pompe, mais avec goût et de grande ampleur. Avec des chśurs, un orchestre et des déclamations, ils donnaient souvent des représentations de pièces entières. Les salles étaient pleines et il était manifeste que le public s'y référait avec sympathie et avait confiance en eux.
Kałuszyn était le quartier général des militants du Poale Sion. Il y avait parmi eux de bons orateurs, des propagandistes des masses, envoyés par TS. K afin de prospecter la région. Outre les Grodzhinski, je me rappelle aussi les Shtulman, Mitelberg, Finkelshteyn, Shapiro et Soroka.
Les arrestations et les condamnations n'avaient pas interrompu l'activité des Poale Sion de Kałuszyn. Au contraire, ils s'engageaient encore plus et encourageaient ceux qui restaient en liberté à poursuivre le travail des personnes expulsées jusqu'à leur retour.
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Le cercle Luxembourg |
Il m'est arrivé d'intervenir dans des conférences portant sur différents thèmes, qu'ils soient purement politiques, littéraires, ou simplement relatifs à la terre d'Israël. J'avais de la « chance » à Kałuszyn. Le village entier, venait à mes rencontres, petits et grands. Me tenant à la tribune, je sentais et voyais que le public m'écoutait attentivement, tendant l'oreille tendues et j'avais le sentiment qu'il buvait mes paroles. Et j'en étais satisfait.
Mes efforts ne tombaient pas dans l'oreille d'un sourd. Cela valait la peine de semer et de planter les graines du sionisme-socialisme à des personnes reconnaissantes. Au fil du temps, cela déboucherait sur une belle moisson.
Jusqu'au moment où l'ange de la mort a frappé et nous a fauchés tous les uns après les autres. Arrachés jusqu'à la racine, ne laissant aucune trace ni souvenir.
Je dois le reconnaître. Lors de ma visite en Pologne, après la destruction, dans les années 1945 à 1948, j'ai évité Kałuszyn. J'ai évité pendant ces męmes années de me rendre sur les fosses communes et je n'ai visité aucun cimetière. Je recherchais des juifs encore en vie.
Mon cśur saignait en moi. Quand sur le chemin du retour je remarquais des panneaux aux noms familiers de petits villages, alors je voyais surgir des proches, les miens des personnes qui m'étaient chères. Mais le train poursuivait sa route, passant devant Kałuszyn, et dans mon cśur la plaie est restée vive et purulente.
Elle est encore présente aujourd'hui.
Kałuszyn était une ville de camaraderie.
Elle n'est plus et ne sera plus.
Depuis ce temps, j'ai souvent rencontré dans divers pays, et aujourd'hui encore en Israël, des amis de Kałuszyn. Je parle du Kałuszyn d'antan. Nous nous remémorons mutuellement un événement, un fait, une fęte et nous avons le cśur serré.
Parce que Kałuszyn proprement dit, notre Kałuszyn, n'existe plus
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Traduit par S. Staroswiecki Une bourgade d'artisans et de pauvres commerçants. Une école russe ou les pauvres gens ne peuvent envoyer leurs enfants.
C 'est ainsi que je me rappelle la ville en 1905.Et puis, tout a changé. Les premières étincelles de lumière. Un mouvement ouvrier, le Bund, des manifestations, des grèves, des arrestations Le knout, mais également des chants. Des provocateurs, des Pobitnikes mais également de l'héroïsme, de l'abnégation.
Et aussi des héros, des personnes dévouées, et une jeunesse chaleureuse et l'esprit ouvert qui s'éloignait des écoles élémentaires religieuses et des yeshivot. Et la lumière grandissait ..
1917 David Bekerman, Alter Tchelandnitski, David Zilberman, Mendel Groushke, Pinie Groushke, Shlomo Welondek, Abraham Gluzman, Israël Reichenbach, Meïr Fishel Zorman, Yaakov Kapote, Abraham Goldberg, Akiva Hendler, Shmuel Altenberg, Pienknawiech, et des dizaines d'autres personnes actives.
Nous avons fondé une association culturelle, une bibliothèque juive, et ensuite, des partis.
Des locaux bourrés, des conférences, des discussions politiques et littéraires, des cours du soir et cours d'art dramatique avec à leur tête le régisseur Israël Reichenbach.
On jouait du Shulem Aleykhem, Peretz, Asch, et la vie culturelle florissait.
En 1918, 1919 une nouvelle génération de jeunes est devenue adulte : mes camarades, comme il est bon de les rappeler : Israël Milgrom, Moshé Goldberg, Shmuel Eizerstein, David Felner, Levy Itzhak Segalik, Berl Felner, Guedalia Skovronek, Moshé Kreitman, Meïr Yagodzynski, Sheindel Zlote, Dvorah, Otsop, Henie Kapote, Zilberman, Une telle jeunesse juive chaleureuse.
Les premières étincelles se sont transformées en lumière.
Le village avait changé de visage, des associations culturelles, des syndicats professionnels et le sport, dans tous les domaines et ainsi, jusqu'en 1939 ..
Treblinka, Maïdanek, Auschwitz, Buchenwald, Dachau. Partout, les corps et les cendres de êtres chers ont été disperses. Les étincelles étaient devenues lumières et ensuite, tout est parti dans les flammes .. Tout ce qui était n'existe plus. Excusez-moi, Ô êtres chers ! Nous ne vous oublierons jamais.
Traduit par S. Staroswiecki Tous nos camarades ne vivent-ils donc pas encore?
Je les vois encore tous, dans les écoles, les synagogues, dans les organisations, souriants, chantant avec un tel courage et une volonté de vivre, alors que la vie avait maltraité un grand nombre d'entre eux.
Et pourtant, ils avaient tous la foi et rêvaient qu'un plus beau jour se lèverait et par conséquent ils avaient le moral et étaient solides.
C'est ainsi que beaucoup d'enfants talentueux ont grandi dans la pauvreté et partout : à la jeunesse ouvrière, à l'Hashomer Hatsair, chez les Pionniers, au Tsukunft et au Freyheit. Il y avait partout de la vie, des conférences, des représentations, de la culture, du sport et de la camaraderie. Les veillées au shtetl : Je vois et me rappelle comment la jeunesse sortait se promener, comment les rues et tous les clubs était pleins de jeunes.
Est-ce vraiment possible ?
Tout cela a-t-il été éradiqué et est-il mort ?
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Traduit par S. Staroswiecki
Nous étions en 1902- Une épidémie faisait rage à Ka³uszyn. La même année, un grand incendie s'était déclaré et toute la rue Kocielna, jusqu'à l'église était partie dans les flammes. Les hassidim en attribuaient la faute aux impies, à tous ceux qui '' écumaient les trottoirs '' et aux confréries.
Dans les confréries, on se prenait un verre d'alcool pour se donner du courage, on psalmodiait des mélodies hassidiques, mais également des airs nouveaux qu'on commençait déjà à entendre.
Les confréries, constituées de gens du peuple et d'artisans, commençaient à s'occuper de questions relatives au travail et aux conditions de travail. Tous ceux qui jusqu'à présent travaillaient du matin jusqu'au soir, commençaient à manifester leur mécontentement et n'attendaient qu'un chef pour faire bouger les choses.
A cette époque, la journée de travail durait 16 heures. Le vendredi, on ne travaillait qu'une demi-journée, pour pouvoir se rendre au Mikve[1], mais on payait très cher cette demi-journée de repos. On travaillait le jeudi soir et également à la sortie de shabbat. Immédiatement après la Havdole[2], on s'attelait déjà au travail. Les patrons étaient heureux tandis que les compagnons, les artisans des confréries, emportés, ne parlaient du matin au soir que de justice et de droit.
A cette époque, il y avait à Ka³uszyn de nombreuses usines et artisans. La spécialisation dans les taliths permettait de nourrir des centaines de familles. Les taliths de Ka³uszyn avaient acquis une grande réputation, et étaient vendus dans toute la Pologne, en Russie, en Lituanie et en Lettonie. Un ancien habitant de Ka³uszyn, Feyvish Jelikhover avait ouvert à Varsovie, dans la rue Franciskaner, un grand entrepôt de Taliths fabriqués à Ka³uszyn, et les expédiait dans toute la Pologne et même à l'étranger. Les propriétaires de l'usine de taliths missionnaient aussi des vendeurs, qui, voyageaient de village en village à la recherche de clients dans les maisons d'études.
Les artisans s'étaient diversifiés dans la chaussure bon marché. Environ une centaine de cordonneries expédiaient les chaussures au Podriad[3] pour l'armée. Un millier d'ouvriers y travaillaient. De nombreux ouvriers, environ 500, travaillaient dans le prêt-à-porter, les cordonneries, et vendaient leur marchandises dans les foires.
Il y avait également en ville deux grandes usines de fourrure appartenant à Alter Moshé Groshik et Shlomo Royzman. Chaque usine employait près de cent personnes, et il y avait également deux tanneries employant chacune 40 ouvriers.
Les grèves, qui avaient commencé en 1905 s'étaient propagées petit à petit dans la ville. On ne protestait plus en silence du matin au soir, mais, on commençait à parler à voix haute de revendications, de protestations et de grèves.
Cela commença par les cordonniers, les tailleurs, les fabricants de brosses, jusqu'à s'étendre aux fabricants de taliths, profession que j'exerçais à l'époque.
Dans les usines de taliths, la journée de travail de 16h était encore en vigueur et un jeune homme ne touchait que 50% du salaire. On ne prenait pas en compte ses qualifications. Il était de règle qu'un jeune homme ne touche qu'un demi salaire jusqu'à son mariage.
Les premières exigences des fabricants de taliths furent les suivantes : Une journée de travail de huit heures et, pour un jeune homme, un salaire égal à celui d'un chargé de famille.
C'est au domicile de Layzer Farber, dans les deux oratoires où priaient et étudiaient la confrérie des fabricants de taliths que se tint la première grande assemblée. Une foule compacte de 400 personnes s'était entassée dans les deux pièces. Leyzer Bilke le principal orateur, était un jeune homme de haute taille et costaud, fabricant de taliths travaillant dans l'usine d'Isroël Koshekhs. Il fut à la tête de toutes les actions révolutionnaires et héroïques à Ka³uszyn.
L'assemblée se tint justement un shabbat au soir au moment où les artisans devaient compenser leur congé du Vendredi après-midi. Le but était de cesser de travailler le samedi soir. L'assemblée entama avec joie le souper marquant la fin du shabbat par une chaude soupe au gruau et quand arriva le moment de l'action, on aborda tous les sujets.
Deux décisions furent adoptées. 1- La revendication de huit heures de travail 2- L'abolition de l'usage mentionné plus haut du versement d'un demi salaire pour un jeune homme. Tous s'étaient engagés à faire la grève, au cas où les employeurs ne céderaient pas aux revendications. Afin de s'assurer qu'il n'y aurait pas de briseur de grève, tous les participants avaient juré sur la Torah de mettre en uvre toutes les décisions.
Cependant, ils avaient tous peur d'être le premier à faire la grève. Leyzer Bilke s'engagea à être le premier. Cela se passa vraiment comme il l'avait dit. Leyzer Bilke interrompit le travail le premier, suivi par les ouvriers qui quittèrent leurs postes. Ensuite, Les ouvriers de la première usine se rendirent dans la seconde afin de faire cesser le travail, jusqu'à ce que toutes les usines de taliths soient en grève. Le contremaître Shmouel Zoyermilkh et ses trois fils, ne donnant pas l'autorisation de cesser le travail, les grévistes montrèrent ce dont ils étaient capables et interrompirent le travail à la chaîne.
Les grévistes trouvèrent également d'autres moyens d'action contre les propriétaires qui ne cédaient pas à leurs revendications. Dans toutes les villes et villages, où les Ka³uszyner allaient vendre leurs marchandises, on recherchait les vendeurs de taliths des usines en grève et on les renvoyait chez eux couverts d'opprobre
Leyzer Bilke, déjà mentionné ci-dessus menait ces actions avec la plus grande énergie et avait la haute main sur toutes ces entreprises. Les actions qu'il entreprenait ne faisaient qu'accroitre sa renommée. Toutes ces années, on avait vécu en bonne entente avec les unités de la garde civile et elles ne s'étaient jamais mêlées des affaires de la bourgade. Ce n'est qu'à l'occasion des grèves qu'on envoya en ville spécialement un officier de police avec pour mission de rétablir l'ordre. Et de fait, ce policier commença à créer des problèmes, à s'immiscer partout et à gêner les grévistes et les révolutionnaires.
Un soir, Leyzer Bilke lui enfila un sac sur la tête et le laissa à terre, battu à mort. Après cette affaire, un chef de district vint en ville avec son escorte pour affirmer son autorité.
A cette époque, j'étais membre du '' petit Bund'', et, avec nos camarades du ''grand Bund'', nous nous sommes, nous les jeunes, préparés à la visite du haut fonctionnaire. Suivant les instructions des aînés, nous avons ramassé des pierres en attendant l'heure propice
Le traîneau du haut fonctionnaire arriva à vive allure. Les cosaques aux épées tranchantes galopaient devant. Après être passés devant Ozer Tcheyne, le traîneau les suivant à l'arrière, Leyzer Bilke surgit alors de la ruelle et la rue fut pleine de milliers de grévistes. Le haut fonctionnaire, cerné par la foule se leva, effrayé sur son traîneau et prévint que si on le tuait, un autre prendrait sa place. La foule, Leyzer Bilke à sa tête, exigea que le haut fonctionnaire ne se rende pas à la mairie, mais qu'il reparte à Miñsk Mazowiecki. C'est le chemin que prit la luge et la foule laissa éclater sa joie.
Mais elle fut de courte durée. Ce que le haut fonctionnaire n'avait pas réussi à faire tout seul, il tenta de le faire par des mains juives. Le haut fonctionnaire fit venir de Miñsk Mazowiecki des bandes ''d'assassins '', des éléments criminels expulsés de leur ville natale pour être envoyés au loin sous surveillance policière. Avec les policiers et des soldats, ils fondirent sur la ville et, suivant des listes déjà prêtes, allèrent de maison en maison afin d'en extirper les révolutionnaires et les grévistes, les battirent comme plâtre et conduisirent des centaines d'entre eux à la prison de Miñsk Mazowiecki.
On chantait alors à Ka³uszyn :-« On a déjà assassiné tous les grévistes » . Mais l'uvre révolutionnaire se poursuivait. Les orateurs descendaient en ville, s'installaient à la tribune, le visage masqué. En pleine récitation de la prière du Shmone Esre[4], on postait des gardes devant les fenêtres et les portes de la maison d'étude, de sorte que l'audience ne pouvait se disperser après la prière et, dès que les fidèles avaient fini de prier, l'orateur commençait à parler et les fidèles devaient écouter jusqu'au bout un chapitre de Karl Marx. Un jour, quelqu'un, au beau milieu d'un discours, cria par provocation que les soldats arrivaient. L'auditoire de la maison d'études fit voler en éclats toutes les fenêtres et les portes et pris les jambes à son cou.
Le lendemain, le Bund remplaça toutes les fenêtres et paya pour tous les dommages causés.
Leyzer Bilke le héros dut finalement s'enfuir en Amérique ; mais son nom est resté gravé dans la mémoire de tous ceux qui vécurent cette époque tourmentée.
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Traduit par S. Staroswiecki Un shabbat matin, le régiment de Miñsk Mazowiecki a débarqué à Kałuszyn, accompagné des « assassins » de Miñsk, avec à leur tête un Kałuszyner : Alter Gjej.
Durant toutes ces années, La principale activité d'Alter Gjej avait été de transporter des marchandises vers Varsovie. Il vivait dans la maison des Jagodzinski donnant dans la rue de Varsovie. Là-bas, il y détenait trois paires de grands chevaux blancs et ses commis étaient les fils de la famille Matselder. C'est ce même juif costaud qui est revenu, à la tête des « assassins » de Minsk et qui, accompagné de soldats s'est mis à la recherche des révolutionnaires.
Près de 200 personnes furent arrêtées à l'époque et, sur la route même où elles avaient été arrêtées, Alter fit usage de sa force en frappant et allant jusqu'à tuer des gens, à tel point que les soldats furent fortement troublés par son comportement. Shmerl Tentser et Borekh Yosl Shadkhan faisaient partie des personnes arrêtées.
Le lendemain, quand les charrettes d'Alter prirent la route de Varsovie, les commis furent copieusement frappés et les charrettes renvoyées sans marchandises. Un tribunal révolutionnaire passa Alter Gjej en jugement et le condamna à la peine de mort. La peine aurait du être exécutée le jour de Yom Kippour.
Dans les cercles révolutionnaires, il était habituel qu'un jugement soit exécuté par des camarades d'une autre ville. Dans le cas de Gjej, la tâche en revint aux camarades de Siedlce.
Le jour de Kippour, les « fidèles » de Siedlce se présentèrent, et vinrent « prier » dans la nouvelle synagogue du coté du « Mizrekh-Vant »[1], à l'endroit ou les charretiers, (dont parmi eux Alter Gjej) avaient coutume de prier.
Conformément au plan, les « fidèles » de Siedlce, avec l'aide d'un instructeur de Kałuszyn devaient reconnaître et suivre Alter Gjej au moment de la prière et attendre l'heure propice.
Au fur et à mesure de la journée, d'une prière à l'autre, les « Shedletser »[2] sortaient de la synagogue pour se mettre d'accord afin de mener à bien leur mission à la fin de l'office.
Après la « Neïla »[3] et la prière du soir, et après le retour de l'assistance dans ses foyers, on entendit un coup de feu, et immédiatement après, la rumeur se répandit en ville qu'un juif avait été abattu.
Il s'avéra qu'une erreur avait été commise. A la place d'Alter Gjej, on avait abattu Aharon Dovid Balegole (charretier). Apparemment les Shedletser n'avaient pas bien compris les instructions de l'instructeur de Kałuszyn et confondu Alter Gjej avec Aharon Dovid, parce que tous les deux avaient prié l'un à coté de l'autre.
Le lendemain, on procéda à l'hygiène funéraire de l'innocente victime. La ville lui fit un enterrement de première catégorie , et tout de suite après, la police procéda à de nombreuses arrestations. Elke, la fille de Nathan Optsas fut accusée d'avoir prêté main forte aux terroristes et Laybl Oksn fut accusé d'avoir été un des exécutants. Il fut sévèrement battu lors de son arrestation.
Alter Gjej resta en vie, mais ses chevaux ne le menèrent plus à Varsovie. Les cercles révolutionnaires l'avaient averti qu'il méritait de mourir deux fois, à cause de lui et de la malheureuse victime. Un jour, on tira sur Alter par la fenêtre, et malgré qu'il s'en soit sorti sain et sauf, Alter réalisa que sa vie n'en serait plus une. Il envoya des émissaires aux révolutionnaires pour implorer leur clémence, leur dire qu'il était prêt à céder toute sa fortune, ses biens et qu'il fallait lui pardonner, mais ses suppliques restèrent vaines. Alter Gjej resta cloîtré dans sa maison comme dans une prison. Il dut vendre ses chevaux blancs pour une somme ridicule et il mourut de maladie dans la peur et la solitude au début de l'année 1906.
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Traduit par S. Staroswiecki Je me rendais tous les jours à l'usine d'Alter Moshé Gozhik, porter à manger à mon père qui y exerçait la profession de fourreur et j'avais l'occasion d'observer, là-bas les guerres entre les fourreurs et leurs employeurs.
Une fois, lors d'une rude journée de combat, Alter Pinhas Berman et les siens ont tiré sur leur usine avec des revolvers. Les grévistes ont alors capturé Alter Moshé un vendredi soir, lui ont jeté une bâche sur la tęte et l'ont bien battu à mort.
Les meneurs de ces affaires révolutionnaires de la ville étaient à cette époque : Yenkel, dit le « Professor » (qui vivait chez Dovid Noah Kapuze), Avrohomtshe Gelibter (le fils de Dovid Gelibter) Shmerl, dit « le marieur » le coiffeur (fils d'un fabriquant de taliths) et Shlomo Stoydle.
Je me rappelle encore aujourd'hui le premier mai 1905. Soudain, un des camarades est monté dans une calèche et s'est mis à chanter :
Sortez les saints drapeaux rouges
Le sang va couler dans les rues
On a vraiment sorti les drapeaux rouges et très vite, l'armée est sortie de la « Roberzhe » , a frappé et a tué.
Je me souviens d'une manifestation devant la « Robertshe », devant la cour ou l'armée russe était postée. Le but de la manifestation était de protester à la suite de la publication de la constitution. A l'époque, les soldats avaient arręté plusieurs centaines de personnes, et certaines étaient tombées.
A l'époque un air parlant de cette constitution tronquée avait couru :
On nous a donné la constitutionToutes ces chansons et manifestations nous ont couté cher. Tous les grévistes ont été emmenés en prison et se sont plus tard enfuis en Amérique. Les chefs des fourreurs : Akiva Sheyman, Moshe Kshivak, et Tomtshik sont partis en Amérique après leur arrestation et Shlomo Stoydler est parti en Allemagne
On nous l'a aussitôt confisquée.
On pensait qu'il instituerait la révolution
On la connaît déjà, cette politique de porc
Il a avancé masqué
Nous et le monde entier
C'est pour cela que le monde
Ne te fera plus crédit.
Toutes les personnes qui se sont enfuies ont accompli des actions héroïques et męme quand elles ont été loin de Kałuszyn, on a continué à parler d'elles et vanté leur bravoure.
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Traduit par S. Staroswiecki Récit d'un évènement qui s'est produit lorsque j'avais cinq ans, que je dédie à la mémoire de mon frère : le martyr Meïr Shtulman.
J'avais cinq ans (il a écrit sept ?) à l'époque, et ces évènements, comme tous ce qui se passe quand on est jeune, sont restés profondément gravés dans ma mémoire pour toujours.
Mon père, de mémoire bénie, à la tête du tribunal rabbinique, était à l'époque assis avec ses deux assistants, Noah Mordkhiles et mon beau-frère Yekhiel Meïr et tous étaient occupés à étudier. Il n'y avait pas de jugements ni de consultations rabbiniques au shtetl parce qu'il planait partout une odeur de révolution et personne ne sortait du seuil de sa maison à l'exception des « grévistes » comme on les appelait à l'époque.
Soudain la porte s'ouvrit et trois jeunes personnes de grande taille ont pénétré dans la maison. Il 'agissait d'Avrahamtshe Gelibter, Yosef Dobjinsky, et Leyzer Bilke. Ce dernier a immédiatement brandi son arme et tiré au plafond et le juge, Reb Noah s'est évanoui. Mon beau-frère Yehiel Meïr est resté déconcerté. Moi et mon frère Meïr qui était encore tout jeune, regardions simplement par curiosité.
Et le seul à ne pas perdre pied fut mon père, de mémoire bénie.
-« Que voulez vous, juifs ? Est-ce une façon juive de se comporter, de tirer comme ça ? » a demandé mon père.A ce moment, un des trois, Avrahamtshe Gelibter, s'est approché et a parlé ainsi :
-« Au nom du comité révolutionnaire, nous sommes venus exiger que vous nous donniez l'argent que la bourgeoisie a déposé chez vous quand vous prononciez des jugements ».Alors mon père a entièrement tiré le tiroir de la table du tribunal rabbinique et leur a dit en ces termes :
-« Vous voyez, chers juifs, là dans ce tiroir se trouve beaucoup d'argent »Sur ce, il a commencé à sortir des petits paquets enveloppés de tissus rouges et les leur a montrés.
-« Ce petit paquet avec 100 roubles appartient à un pauvre orphelin ; un héritage de ses parents, et l'autre tissu contenant 200 roubles est la dot d'une pauvre fiancée dont le fiancé a exigé que tant que l'argent ne serait pas déposé chez le rabbin, il ne la prendrait pas pour femme. Tous les autres petits paquets appartiennent à de pauvres orphelins, fiancées et veuves et pour ce qui concerne la « bourgeoisie », comme vous l'appelez, on a effectivement déposé des grosses sommes, mais tout en lettres de change.».Mon père a en effet sorti du tiroir des lettres de change valant des milliers de roubles que des négociants en bois juifs avaient déposés pour une transaction et des achats et il leur a dit :
-« Bon, si vous le voulez prenez l'argent des pauvres fiancées, des veuves et des orphelins. Quant aux lettres de change et les grosses sommes, vous pouvez aussi les prendre, mais vous ne pourrez pas en bénéficier ».Le silence régna dans la maison et dura quelques minutes jusqu'à ce que leur chef, Avrahamtshe Gelibter prononce ces paroles :
-« Ecoutez- moi bien, rebbe, nous ne prendrons pas l'argent des pauvres orphelins et veuves malgré que nous ayons un besoin pressant d'argent ».Puis il a jeté un il au plafond et a dit qu'ils enverraient le lendemain un de leurs hommes réparer le trou fait par le revolver. Sur ce, ils sont aussitôt partis en criant :
-« Que vive la révolution ! »Après leur départ, mon père a dit aux deux juges rabbiniques :
-« Vous voyez ? Une âme juive n'a pas de prix. Même dans leur façon de se comporter il y avait de la compassion envers les orphelins et les veuves et grâce à ce mérite, Dieu les excusera ».
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Traduit par S. Staroswiecki Avant 1910, il existait un oratoire des Kozienicer[1], situé à l'époque, à proximité de la maison d'études, (dans une pièce que Shlomo Vasertrager avait offert aux hassidim de Kozienice).
Parmi les étudiants et fidèles se trouvait un groupe constitué des premiers Maskilim[2] de Kałuszyn.
Leybl Rozenfeld était un bon étudiant, intelligent et modeste. Il étudiait jour et nuit dans l'oratoire des Kozenitser et malgré qu'il ne fasse pas partie d'une famille hassidique il en avait au plus profond de lui-męme l'esprit et était un homme pieux. Pessah Kaptsan était un jeune homme très doué à la fois pour l'étude et pour le « travail manuel ». Pour Shavouot[3], Il confectionnait des « petits bonshommes », pour Tisha Be av: des épées, pour Soukkot: des petits paniers, pour les lulavim et Simha Torah: des fanions, pour Hanoukka: des toupies et pour Pourim: des crécelles. Il faisait tout sans rétribution et l'offrait en cadeau à ses camarades.
Jacob Kaptsan, lui, n'avait aucune aptitude aux professions manuelles, mais était une tęte et avait l'esprit vif. Le monde extérieur lui était étranger, il ne pensait ni à manger, ni à s'habiller, mais jour et nuit, il réfléchissait et étudiait.
Yankel, le fils d'Hillel, étudiait aussi, mais par peur de son père. Il aimait organiser des jeux de tirage de numéros et de temps en temps un « Oke»[4]. Les personnes que je mentionne sont celles qui se distinguaient le plus, mais il y avait d'autres jeunes hommes autour d'eux. Petit à petit, ils se sont passés de main en main le journal « Hatsfire »[5] ainsi qu'un livre comptant parmi les « livres étrangers à la religion ».
Un jour que le rebbe de Kozienice, de mémoire bénie, était venu pour quelques jours à Kałuszyn et que les fidèles priaient dans l'oratoire avec ferveur, il trouva, dissimulé dans le four un petit bout du journal « Hatsfire », ce qui provoqua une certaine agitation, de l'effervescence et aboutit à un scandale. On brûla le papier devant tout le monde et on se mit à regarder ces personnes d'un air plus soupçonneux. On commença à remarquer qu'ils portaient des bottes cirés, qu'ils avaient un peu raccourcis les papillotes, qu'ils portaient comme un fin foulard autour du cou et que la visière de la petite casquette avait rétréci. Ce n'était pas conforme à la tradition juive et l'on entendit dire qu'il fallait expulser les membres de l'oratoire.
Les jeunes hommes ayant compris qu'on les observait, commencèrent à se réunir en secret à mon domicile. Notre maison se trouvait à l'extrémité de la ville, et, à partir de cet endroit, les jeunes hommes se dispersaient un à un dans les champs avec un petit livre caché sous les vętements. On allait jusqu' à l'indication montrant la direction de Lemontove et sur place, on lisait des heures entières.
A cette époque, le rabbi de Kołbieli[6] était venu à Kałuszyn pour y habiter définitivement. Il a loué la partie avant de la maison de David Ruzhe pour y habiter et dans la cour où se trouvait auparavant une caserne militaire, il a aménagé un emplacement pour prier, étudier et réunir ses fidèles. Un nouveau centre de Torah et de « hassidisme »[7] s'est ouvert, mais il fut rattrapé par la « Haskala ».
Deux fils des proches du rabbin, dirigeants communautaires et bedeaux,
Herschel Haïm, le fils d'Aharon et Haïm Meir le fils de Yedidia (Torbiner), des jeunes hassidim et des étudiants studieux aux papillotes bouclées ont commencé à se prendre d'amitié avec les jeunes Maskilim de l'oratoire de Kozienice, les jeunes hommes de Kozienice venaient aussi à la table des Kołbielier. Ainsi débuta une amitié et les jeunes hommes de Kozienice et de Kołbieli ont commencé à visiter notre maison. Ils se promenaient ensemble hors de la ville dans les foręts de Dmoski. Là- bas, dans les bois, on tenait des discussions et des débats et j'y assistais pour écouter. J'y contribuais aussi en y apportant un livre ou une lettre et je suis devenu petit à petit un des leurs.
Lors de leurs discussions, les orateurs principaux, étaient toujours Leybl Rozenfeld et Jacob Kaptsan. On y parlait de Spinoza[8], Moses Hess[9], Pinsker[10], Frishman[11] et d'autres. Dans la foręt les discussions étaient libres, on n'était pas dérangé,
Mais lorsqu'elles se passaient à l'oratoire, il y avait toujours sur la table quelques guemara et des livres saints pour donner l'impression que nous étions occupés à étudier.
Une fois, en hiver, un vendredi soir, après que mes parents, des boulangers soient partis se coucher tôt épuisés par leur semaine de travail, nous nous sommes retrouvés à une vingtaine de jeunes hommes réunis dans notre chaud appartement, près du poęle brulant. Il y avait parmi nous deux jeunes filles (une d'entre elles était la sśur de mon père). C'était une réunion du groupe des Maskilim.
A la lueur d'une petite lampe à pétrole, tous avaient fait cercle autour d'un invité étranger vętu, à l'européenne qui leur parlait doucement, d'une voix agréable avec beaucoup de mots en hébreu. Tout le monde écoutait, captivé, et avalait ses paroles. Après son discours, on entama une discussion à propos d'Israël, de l'hébreu et du yiddish, de nationalisme et de l'assimilation. L'invité répondait à toutes les questions avec amabilité, avec beaucoup d'intelligence et de persuasion. Tout le monde était content et essayait de parler hébreu entre eux avec leur camarade ashkénaze.
Ce vendredi soir, les jeunes Maskilim m'ont demandé de ne parler de l'invité à personne.. J'ai gardé le secret pendant toutes ces années et à présent, je m'en rappelle comme un privilège d'avoir été dans l'entourage des premiers Maskilim de notre ville.
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Un groupe des premiers cercles culturels |
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Traduit par S. Staroswiecki J'avais cinq ans en 1905 et j'étudiais au heder avec Shemaya, l'enseignant, et il me raccompagnait à la maison pendant les nuits d'hiver. Je sentais déjà que des choses se passaient en ville: des grèves, les drapeaux, les cosaques ...
C'était le fait du mouvement ouvrier juif. Il n'y avait pas de sionistes en ville à l'époque.
Dans notre maison, vivait Shloyme Khashes, un des révolutionnaires de la ville. Dans sa chambre les Cosaques ont mené une « bedikas homets[1] », confisqués tous les papiers, męme la plume et l'encre. Ils soupçonnaient que ces éléments puissent contenir tout le secret de l'esprit de rébellion ...
J'ai grandi avec les impressions mystérieuses de ces années agitées, étudié aux heders de Leybush, dit «le Cosaque » et Tsalke, l'enseignant. Ensuite, j'ai étudié à l'oratoire de Ger. Il y avait trois jeunes garçons avec moi : Haïm Arome, les Shmuel : Shosha et Noske. Nous étudions en « mashmurim[2] », de jour comme de nuit afin que jamais l'étude de la Torah ne soit interrompue.
Toute la semaine, j'étudiais avec les gens de Ger, mais le Shabbat, j'allais à l'office de l'oratoire des Kozienice. C'est là que j'ai fait la rencontre d'une personne qui m'a conduit à un cercle de Maskilim et aux premiers sionistes de Kałuszyn.
J'avais 12 ans à l'époque, en 1912, et j'étais à l'oratoire de Kozienice, quand j'ai été approché par Shloyme Leyb Felner et invité par lui à me rendre un vendredi soir à l'oratoire de Parisow. J'y suis allé et j'ai rencontré un groupe qui étudiait le Tanakh[3] - « La Bible ». Leybl Rozenfeld en était le littérateur, lisant et commentant le texte, et l'auditoire était constitué de : Nosn Otsap, Melekh Shayman, Mordkhe Yehuda Domb, Velvele Malach, Avrohom Malach, Mendl Grushka et Alter Tsheladnitski.
L'invitation de Shloyme Leyb avait un but: Me faire entrer dans le cercle pour lequel il partageait avec passion ses réflexions sur Eretz Israël * et le sionisme. Ce Moshé Leyb était un Maskil et le premier pionnier de la pensée sioniste à Kałuszyn. Mon père avait l'habitude de plaisanter:
-«Toi, Moyshe Leyb tu finiras en Eretz ...».Moi aussi, j'ai commencé à réfléchir sous son influence, à la question d'Eretz Israël et du sionisme.
Ce groupe de Maskilim, parmi lesquels se trouvaient les premiers sionistes de la ville, se regroupait autour de mon beau-frère Ruven Engel le boulanger, un oncle du célèbre Gaon Reb Shimon Engel (Reb Shimele de Zhelechov). En 1912, Ruven s'est rendu en Eretz Israël. Il est retourné à Kałuszyn, pendant la Première Guerre mondiale, après avoir été expulsé par les Turcs. Les progressistes allaient le voir pour discuter des nouvelles, des idées Maskilim et des sujets ayant trait à Eretz Israël. Ruven allait prier à l'oratoire des Kozienice et le Rabbi de Kozienice disait de lui:
- « Ruven marche sur la corde raide ».Vers la fin de la Première Guerre mondiale Ruven a dit à un cercle de Maskilim:
-« La guerre ne se terminera pas sans une révolution, mais je ne vivrai pas pour la voir ».Et ce qu'il dit arriva, la męme semaine, la maladie l'emporta.
Ruven débattait avec des arguments incisifs qu'il étayait par des citations appropriées pour prouver qu'il avait raison. Une fois, après une discussion, Ruven avait pris un livre à la maison de mon frère alors que celui-ci dormait, et l'avait laissé ouvert sur la page de droite, de sorte que Borekh, fils d'Avrohom Itzhok voit ce qui était écrit à cet endroit ...
Après sa mort, Ruven - le Maskil et le juif d'Eretz Israël - fut très regretté par tous les gens éclairés qui avaient aimé l'écouter.
Bien qu'ils aient été progressistes, Maskilim et sionistes, tant Ruven Engel que Shloyme Leyb Felner entretenaient des relations cordiales avec les éléments hassidiques de la ville. Je me souviens de la ferveur avec laquelle Shloyme Leyb avait pris part à la fęte lorsque Reb Haïm Yosl, consacré à l'écriture d'un sefer[4] par le scribe pour l'oratoire de Kozienice. Le groupe Ayzershtayn avait proposé de venir jouer de la musique. Moyshe Ruven: « Cela ne vous dérange que nous fassions une mitsva, une bonne action? ». Shloyme Leyb était en charge des « lettres de vente[5] ». Les personnes nommées Avrohom « achetaient » un aleph (pour « A ») et tous les Yankl - un youd (pour « Y »).
L'enthousiasme était au rendez-vous.
Le fils de Shloyme Leyb Felner, Avrohom a effectivement fait son Alya, mais, malheureusement, il dut revenir après avoir contracté le paludisme.
Bien que Shloyme Leyb soit entouré par de nombreux enfants et ait toujours eu à se soucier de lutter pour survivre, ses pensées étaient néanmoins tournées vers Eretz Israël. Eux, Shloyme Leyb Felner et Ruven Engel ont été les premiers sionistes, les pionniers du mouvement à Kałuszyn.
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Traduit par S. Staroswiecki Penchés avec ciseaux et peigne au-dessus de la tęte d'un solide paysan de Domb, Mathis le coiffeur (Mathis Kamienny) me racontait sa rencontre avec deux écrivains juifs, deux envoyés d'I.L. Peretz[1].
Entre temps, les mèches de cheveux, du paysan tombaient sur le drap. De plus en plus nerveux, il s'était levé de son siège. Il était pressé, et grommelait contre le Maître coiffeur parce qu'il devait partir. Les charrettes étaient sur le départ, l'heure du marché approchait. Mais Mathis poliment, d'un coup de ciseau à l'autre, s'est penché vers moi, et avec l'éclat de la jeunesse dans les m'a raconté l'histoire suivante :
Ça s'est passé au début de ce siècle, une fois, au crépuscule sur les pelouses derrières la ville. Deux jeunes hommes sont passées, leurs capes étaient en lambeaux et leurs bottes poussiéreuses. Ils se sont arrętés chez lui et se sont mis à l'interroger et lui demander :
- « Que font les juifs dans cette ville ? De quoi y vit-on ? Et quels sont les sujets de conversation parmi les jeunes gens qui étudient et prient ? Lit-on aussi des livres ? Existe-t-il déjà une bibliothèque ? » Et d'autres questions encore.Surpris, Mathis leur a demandé qui ils étaient et il fut stupéfait d'apprendre qu'il s'agissait ni plus ni moins que de Ash et de Nomberg. Ils faisaient le tour des villages, mandatés par Peretz afin de récolter du matériel et de s'informer de ce qui se passait chez les juifs.
Mathis a raconté comment il a accompagné les deux émissaires qui lui avaient semblé venir tout droit du mont Sinaï, donnant de plus en plus de détails sur son extraordinaire rencontre avec les deux pionniers de la renaissance judéo- polonaise. Dehors, le marché s'animait déjà. Le paysan est parti en toute hâte d'un pas lourd, tandis que s'allumait une flamme dans nos yeux, à l'évocation de ces deux envoyés .. Le récit de cette histoire faisait scintiller les miroirs, et les effluves de tous les flacons du petit salon de coiffure s'étaient transformée en parfums odorants, les senteurs d'une nouvelle yiddishkeyt missionnaire qui s'étendait du grand monde jusqu'à l'espace de ma ville natale.
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Traduit par S. Staroswiecki A Kałuszyn, La vie sociale a commencé à l'époque de la première guerre mondiale, au moment de l'invasion de l'armée allemande.
Cela semble aujourd'hui un paradoxe et tout simplement incroyable qu'après tout ce qui s'est passé pendant la seconde guerre mondiale, après tous les actes atroces de ces bętes sauvages à forme humaine, que quelque chose de bon dans notre vie ait un rapport avec le mot allemand, mais c'est un fait qu'après que l'armée allemande a expulsé l'armée tsariste de Pologne, un vent de liberté a commencé à souffler. On a constitué des syndicats, des associations culturelles, des partis, et dans les villages polonais, une activité sociale a commencé, dont les formes se sont étendues au fil du temps et dont le contenu a pris de la substance.
Dans les lignes qui suivent, je vais faire un compte rendu du début des activités sociales dans le Kałuszyn de cette époque.
Ouverture de la première bibliothèque publique
Après l'invasion de l'armée allemande ; un groupe de jeunes intellectuels et progressistes a projeté d'ouvrir une bibliothèque publique juive. Ce groupe se réunissait presque tous les vendredis chez H. Zilberman. Quand l'idée s'est concrétisée, d'autres camarades ont rejoint ce groupe.
La première tâche fut de rassembler de l'argent afin d' acheter des livres et de louer un local adapté. Après avoir récolté une certaine somme, la question de la langue s'est posée au moment d'acquérir des ouvrages. Certains exigeaient que la majorité des livres soient achetée en polonais. De leur point de vue, la bibliothèque devait se consacrer essentiellement à apporter la culture et européaniser les masses, et le mieux était de le faire dans la langue polonaise. D'autres, au contraire souhaitaient commencer avant tout avec des livres en yiddish, parce que la bibliothèque devait permettre de rapprocher les larges couches de la population au L I V R E , et par la lecture, atteindre un nouveau degré de développement .Cela n'était envisageable que dans la langue de la vie quotidienne, dans la langue maternelle ,et par la littérature juive.
A la dernière réunion du cercle, qui devait décider de cette question, chaque parti a mobilisé ses partisans et on opta pour le Yiddish à la majorité. Les partisans du polonais furent mécontents et refusèrent ensuite de collaborer.
Nous avons élu un comité composé des camarades Rachel et Pinhas Khroshtshistki, David Bekerman, Akiva Hendl, parmi d'autres. Grâce à leur travail intensif, la bibliothèque s'est ouverte peu de temps après, dotée d'une salle de lecture et d'un local très modeste, quoique beau. Le nombre de lecteurs grandissait de jour en jour à la bibliothèque, qui, étant la seule institution culturelle du shtetl, a pris de plus en plus d'importance. Tous ceux qui, auparavant, s'étaient éloignés en raison de leurs opinions divergentes, sont revenus au fil du temps et ont pris part aux activités culturelles. A cette époque, la bibliothèque était le seul rayon de lumière dans l'arriération générale du shtetl.
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Militants associatifs à la bibliothèque |
L'ouverture D'un Foyer D'enfants
La vie économique était très dure, le chômage ne cessait de croitre à cause des différentes restrictions de la puissance occupante allemande, les revenus avaient fondu, et au shtetl, des centaines d'enfants allaient dans les rues, dénués de tout et pieds nus. L'hiver s'approchant, les enfants allaient le passer dans leurs froides demeures. Comment pouvait-on les aider ? L'idée est venue d'ouvrir un home d'enfants, au moins pendant la saison hivernale, pour qu'ils puissent passer quelques heures par jour dans un endroit chaud et dans une atmosphère chaleureuse.
Il était aussi nécessaire de se procurer des vętements chauds et des chaussures, et dans ce but nous avons organisé une vente de fleurs. Un beau matin, jour de marché, nous nous sommes pointés par groupe de deux , dans les rues du shtetl. Les religieux ont commencé à murmurer :
-''Voyez donc ça, des garçons et des filles ensemble en public, dans les rues ? Est-ce possible ?''.Ils parlaient, mais n'osaient pas nous stopper, et notre entreprise fut un succès. Nous avons acheté tout le nécessaire et ouvert notre home d'enfant.
De ce fait, nous avons acquis la plus grande sympathie des couches populaires de Kałuszyn et les avons rapprochés de notre śuvre.
kal146e.jpg Vente de fleurs au profit du home d'enfants (kinderheim)
L'ouverture D'une Cantine Ouvriere
La situation économique était très difficile, le nombre de chômeurs ne cessait de croitre, nombreux mouraient littéralement de faim, jusqu'à ce que nous primes la décision d'agir pour soulager la misère. Nous nous sommes attelés à la tâche d'ouvrir une cantine ouvrière pour que tous les nécessiteux reçoivent un repas de midi nourrissant et bon marché.
Nous n'avions pas de moyens financiers et avions besoin de grandes sommes d'argent pour louer un local, nous procurer des meubles et de la vaisselle et avant tout maintenir la cuisine. Nous réfléchissions au moyen de mettre en śuvre ce plan jusqu'à ce que nous ayons décidé de réclamer dans ce but la cuisine dans la cour de la synagogue qui, à l'époque ou la yeshiva existait encore, servait aux étudiants de yeshiva.
Rapidement le syndicat professionnel (encore peu organisé) reçut l'autorisation d'utiliser cette cuisine pour les ouvriers. Nous l'avons immédiatement ouverte et commencé à servir des repas pour les nécessiteux, mais nous n'avions pas les moyens d'entretenir cette cuisine, et nous pensions chaque jour : D'où viendra notre secours ? Cette aide nous est cependant parvenue de là où nous ne l'attendions pas.
Les notables du village se sont réunis subitement et ont soudain réalisé qu'ils avaient commis une erreur : De leurs propres mains, ils avaient introduits les hérétiques dans la cour de la synagogue dans le saint des saints, une dispute a commencé, et ils ont commencé à négocier avec nous pour que nous abandonnions la cuisine, et que nous partions de la cour de la synagogue pour un autre local, avec tous les équipements. Nous avons accepté, et peu de temps après, nous avons déménagé vers un autre local, un appartement plus large, de quatre pièces.
Ils nous ont aussi promis de nous aider à entretenir la cuisine, mais leur promesse n'a pas été tenue. La question de savoir comment combler les déficits était un sujet très épineux. Nous n'avons pas eu d'autre choix que d'avoir recours à nos 'espiègleries' pour les forcer à tenir leur promesse.
La cuisine a existé pendant longtemps et a beaucoup aidé à améliorer la dure condition des nécessiteux du shtetl.
Ce furent les premiers bourgeons de la vie sociale à Kałuszyn qui s'est ensuite étendue dans les bibliothèques, la vie en société les syndicats professionnels et les groupements politiques
Les pionniers de l'époque se sont disséminés aux quatre coins du monde et de nouvelles forces ont poussé, qui ont poursuivi et développé leurs actions sociales jusqu'à ce que les troupes hitlériennes anéantissent tout.
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Traduit par S. Staroswiecki Cela s'est passé en 1917.
On nous avait appelés à l'aide de Kołbieli, parce que le village avait presque entièrement brûlé et était parti en fumée.
Parmi ceux qui nous avaient demandé de l'aide figuraient les camarades du Poale Tsion qui comptait à l'époque pour la plus grande organisation de Kołbieli.
Nous, les Poale Tsion de Kałuszyn étions une organisation puissante, qui étions physiquement et spirituellement au service des organisations frères des villages environnants. A cette époque, après la scission de l'Union Culturelle Générale, nous avions repris un grand local avec tous les équipements, un club, une salle de lecture ainsi qu'une grande bibliothèque (j'en étais à l'époque le bibliothécaire et je me souviens que nous comptions 500 lecteurs). Quand l'appel nous est parvenu, nous nous sommes présentés avec toute notre puissance associative et notre dynamisme afin de fournir l'aide nécessaire aux camarades de Kołbieli.
Nous avons commencé notre action par la diffusion de fleurs en faveur des sinistrés de Kołbieli, ce fut la première « vente de fleurs » à Kałuszyn. C'était à l'époque une nouveauté. Une telle action était étrangère à la communauté de Kałuszyn et elle paraissait particulièrement étrange parce que nous l'avions entreprise un jour de marché. Les juifs travaillant durs nous regardaient avec étonnement et les paysans de passage qui descendaient des villages le comprenaient encore moins.
Avec énergie, et ayant pour tout motif notre dévotion, nous nous sommes attelés au travail. Décorés de rubans, les couples ont sillonné la ville. C'était la première fois qu'on voyait au shtetl une chose aussi « absurde » : Des jeunes gens et des jeunes filles en liberté.
Les parents gémissaient et les enfants couraient derrière.
La vente de fleurs eut un succès inespéré. Personne n'a manqué à l'appel : juifs et non juifs, le rabbin, et le curé aussi. A chaque fois, on vidait les besaces pleines et on repartait les remplir. Beaucoup ne se contentaient pas de cette petite contribution, mais donnaient aussi une plus grande somme et toutes les recettes allait aux camarades de Kołbieli.
Après la vente de fleurs, nous avons aussi organisé, également dans le but de porter assistance, deux représentations à Kałuszyn et à Mińsk Mazowiecki. Nous avions à Kałuszyn nos propres troupes théâtrales et une bonne chorale aussi. Berish Altenberg et David Klezmer étaient tous les deux de bons chefs d'orchestre, et nous avions quelques solistes comme Esther Léa de Pinsk, Teme Dembovitsh et Sara Furer. Les artistes étaient : Yosef Eilberstayn, Yaacov Hersh Zilberman, Rachel Domb et Itzhok Optsap.
Nous avons donné deux représentations qui eurent un grand succès et engrangèrent de bons bénéfices. Je n'oublierai jamais notre entrée à Mińsk Mazowiecki et l'accueil chaleureux réservé à nos camarades. Tout le village était en effervescence, agité, et tous les billets furent arrachés. On était entassés, et nombreux furent ceux qui restèrent dehors.
Le lendemain après la représentation, quand nous sommes repartis en calèche, notre groupe était heureux et joyeux. Mińsk Mazowiecki nous a remerciés et les camarades de Kałuszyn nous ont souhaité la bienvenue.
C'est ainsi que nous sommes allés à la rencontre des camarades de Kołbieli et que nous avons fait en męme temps quelques pas supplémentaires pour l'avancement de la vie sociale à Kałuszyn
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Updated 29 Mar 2014 by MGH