par Chuck Ferree
Harry Herder, soldat ayant participé à la libération de Buchenwald:
"Il y a plus de 50 ans, j'ai vécu une série d'expériences que je n'ai jamais plus pu effacer de ma mémoire. Elles sont gravées dans mon esprit. Quelquefois, toujours au printemps, un fait anodin réveille ces souvenirs et me replonge un fois de plus dans ces expériences vécues. Le degré d'immersion peut varier d'années en années, mais jamais ne diminue l'intensité de ses souvenirs. Je remarque, bien que je ne puisse l'expliquer, que cette "immersion" se passe toujours au printemps. Cette année, j'ai décidé de coucher sur papier ces souvenirs, tous, sans exception, ou du moins tout ceux que ma mémoire a gardé. J'espère pouvoir vider cet abcès. Je n'espère pas le vider complètement -- ce serait bien trop beau -- mais si je pouvais enfouir ces souvenirs dans ma mémoire, faire en sorte qu'ils réapparaissent avec moins de vigueur et moins fréquemment, je me sentirai déjà mieux.
Nous sommes ce que nous sommes, nous avons vu ce que nous avons vu, et nos souvenirs sont ce qu'ils sont. Ainsi soit-il. Tels sont mes souvenirs. C'est bien assez pour moi de ressentir ce que je ressens, et je vais essayer de réduire ces sentiments. Et pour cela, je vais vous utiliser, vous les lecteurs. Je dois évacuer ces sentiments sur quelqu'un, et si il y a des lecteurs, c'est eux que j'utiliserai. Je m'en excuse auprès de vous et j'espère que vous me comprendrez"
Harry Herder est un soldat américain qui a franchit sur son tank les enceintes barbelées du camp de concentration nazi de Buchenwald. Son témoignage complet - ainsi que ceux d'autres soldats ayant libéré divers autres camps - (en anglais) sont accessibles sur le site "Cybrary of the Holocaust" (http://remember.org.) dans la section "Liberators".
La question de savoir pourquoi tant de soldats ayant libéré les camps de la mort éprouvent des difficultés à raconter et à témoigner de ce qu'ils ont vécus est extrêmement difficile. Un grand nombre d'entre eux ont emportés ces souvenirs dans la mort, de fait que même leurs proches ignoraient qu'ils avaient libéré des camps. Pourquoi tant d'hommes ayant vécu de telles expériences refusent-ils de témoigner? Pourquoi leur est-il si difficile de partager cela avec les autres? Harry Herder a traîné ce boulet pendant plus de 50 ans et finalement il s'est décidé a écrire ses souvenirs dans l'espoir, comme il le dit, de vider cet abcès, de vider son esprit de ces images qui le hantent. Il voulait se débarrasser de tout cela. Il voulait effacer ces images de mort, ces odeurs, ces sentiments. Il voulait être délivré de sa souffrance et de ces souvenirs. Les survivants de l'Holocauste connaissent bien cela. Tant de victimes ne parviennent jamais à exprimer ce qu'ils repentent. C'est simplement trop de douleurs. Nombre d'entre eux se sentent même coupables d'avoir survécu: "Pourquoi moi?" "Pourquoi suis-je encore là alors que tous ont péris?" Il n'y aura jamais de réponse. Ne reste que la douleur.
Dans mon cas, près de 50 ans ont passé avant que je ne dise quelque chose à ma meilleure et plus proche amie: mon épouse depuis un demi-siècle. Une des difficultés est que l'on se demande si on sera compris, même si on sait que la compréhension demande du temps. Comment expliquer de telles horreurs? Comment être sûr que les gens nous croiront? Il y a tellement de choses que nous avons vues et qui sont incroyables, elles l'étaient à l'époque et elles le sont toujours aujourd'hui. Comment décrire ce que l'on ressent lorsqu'on découvre une immense grange brûlée contenant les corps carbonisés de plus de 1.000 prisonniers enfermés et brûlés vifs par les SS. Pas moyen de combattre le feu. Nous ne pouvions plus que marcher parmi les cadavres calcinés, figés dans une dernière attitude d'agonie. Les autres ont été tués par balles alors qu'ils tentaient d'échapper au feu. Comment pourrions nous être sûrs que les autres nous comprendront alors que nous avons tant de difficultés à comprendre nous-mêmes? Trop de questions et trop peu de réponses. "La guerre, c'est l'enfer!" Tout le monde dit cela. Le combat est quelque chose 'incompréhensible pour celui qui ne l'a pas vécu. Participer à la libération d'êtres à demi-vivant, tenant à peine debout tant leur état était pitoyable - au point qu'on aurait envie de s'enfuir - est quelque chose d'indéfinissable. Nos esprits ne pouvait pas croire ce que nos yeux voyaient.
Tous nous étions choqués, c'en était quasi insupportable. Nous le voyions et nous pouvions pas croire ce que nos yeux voyaient. Comment exprimer de tels sentiment à des étrangers et même à nos proches? Il n'y a pas de réponses à cette question.Témoigner réveille nos souffrances, nous rappelle les visions d'horreur, l'odeur des cadavres, la rage extrême et la question finale: comment des êtres humains peuvent-ils commettre de tels actes? Je crois que Harry Herder a très justement dit: "Nous demandons votre compréhension." Nous parlons à présent par ce que nous savons que bientôt il n'y aura plus de témoins. Nous nous devons de partager ce que nous avons vécu avec le monde. Car telle est la vérité.
Les négationistes et les révisionnistes aimeraient tant que l'Histoire considère l'Holocauste comme un mythe. Ils n'y réussiront jamais tant que nos témoignages resteront vivants.
Chuck Ferree