Introduction
Décrire une journée type dans un camp est un exercice difficile. La description qui suit est basée sur les points communs ressortant de nombreux témoignages de survivants ainsi que sur plusieurs livres. Il est cependant évident que le déroulement des événements décrits ci-dessous pouvait être très différent d'un camp à l'autre.
Les livres ayant servis de sources à la rédaction de cette description sont:
Nous nous sommes également basés sur des témoignages de survivants dont Mr. Richard Suffit (Auschwitz), Mr. Van Horen (Flossenbürg) ainsi que sur les souvenirs de ce que m'a raconté mon père Edmond Châtel (Vught) avant son décès.
Vincent Châtel
Des hurlements vous sortent de votre sommeil de plomb. Vite, il faut se lever, récupérer ses chaussures (si on ne vous les a pas volées...) et s'attaquer au "bettenbau". De la paillasse informe qui vous sert de matelas à vous et vos compagnons de misère, il va falloir faire un lit parfait, avec la couverture parfaitement alignée sur le matelas et les coins parfaitement réguliers. La tâche est quasi impossible et cela sert de prétexte au kapo pour distribuer des coups de matraques à tour de bras.
Le lit terminé, il est l'heure de la toilette. Selon le camp, vous vous lavez dans un tonneau d'eau glaciale ou vous courez vers les lavabos ou déjà des centaines d'autres prisonniers se précipitent. Il n'y a que quelques éviers et robinets pour des centaines de prisonniers. Vous n'avez que quelques minutes car l'appel du matin approche et les kapos n'hésitent pas à battre à coup de gourdin les malheureux traînards...
Vous avez votre gamelle en main. Pas de gamelle, pas de pain. Un kapos donne une 300 gr. de pain et une tasse de "café" à chaque prisonnier. Quelquefois, il y a un peu de margarine ou une tranche de saucisson. Le pain est noir et le "café" n'est qu'une infâme lavasse tiède. Ce pain est tout ce que vous recevrez comme nourriture solide jusqu'au lendemain. Lors de la distribution, quelquefois, le kapo s'amuse: il verse le café à terre ou jette le pain dans la boue... D'autre fois, avec le pain et le café, le kapo distribue des coups. Si vous renversez votre gamelle, plus rien ne vous sera distribué et vous risquez en outre d'être puni...
(note: on considère qu'il faut un minimum de 3000 à 3500 calories par jour pour un travailleur effectuant des travaux lourds et 2500 calories pour une personnes effectuant des travaux légers. La ration journalière distribuée dans les camps atteignait à peine 1000 calories. La plupart des survivants ont rapporté que les nouveaux arrivés avaient perdu après le premier mois de séjour au camp entre 25 et 30 kilos...)
Vous et vos compagnons vous vous alignez par rangée de 10 sur la place d'appel. Tous les prisonniers doivent être présents à l'appel, y compris les morts de la nuit, rangés devant vous ou devant votre block. Sous la surveillance des gardes et officiers SS, les kapos comptent et recomptent les milliers de prisonniers. Une erreur et tout recommence, jusqu'à ce que le compte soit enfin juste. Pendant tout l'appel, vous restez immobile, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige. Votre pauvre costume rayé, fait d'un tissu rugueux et grossier, ne protège pas du froid et nombreux sont les prisonniers qui meurent des suites de refroidissement du à un appel prolongé dans l'air glacial du matin. Déjà, des prisonniers s'écroulent. Après l'appel, ils seront emportés avec les morts de la nuit vers les crématoires...
Appel à Buchenwald. Ces prisonniers sont de déportés juifs de Hollande
comme l'indique le "N" (pour "Nederland") sur l'étoile de David.
Les équipes de travail sont formées sous les hurlements constants des kapos. Vous vous apprêtez à quitter le camp sous la garde des SS. Vous rejoindrez le chantier à pied bien sûr, même si celui-ci est situé à plusieurs kilomètres du camp. Dans certains camps, un orchestre accompagne le départ des équipes de travail. Dans d'autres, les SS ordonnent aux prisonniers de chanter durant la marche vers le chantier. Vous passez entre une rangée de SS qui attendent à la porte du camp. Des coups, des injures, des hurlements, encore et encore...
Si vous avez de la chance, vous avez un outil de qualité: un pelle une pioche. Sinon, il vous faudra travailler à main nue. Le travail est incroyablement dur et souvent stupide: déplacer des sacs de ciments ou des poutres d'un point à un autre, extraire des blocs de pierre et les déplacer sur votre dos, creuser des tranchées, des tunnels. Peut-être travaillez vous dans une usine. Mais cela ne change rien à votre condition de vie, c'est l'extermination par le travail. Tout doit être fait à un rythme effrené, sous les coups et les hurlements des surveillants SS et autres. Malheur à vous si l'un d'entre eux estime que vous n'êtes pas assez rapide: une pluie de coups s'abattra sur vous ou pire, il vous tuera. A aucun moment, il ne vous est permit de vous reposer, ni même de ralentir la cadence. Ce serait du sabotage et cela signifie la mort.
Un coup de sifflet annonce la pause de midi. Le manque de nourriture fait que vous êtes exténué. Une soupe est servie aux prisonniers. La soupe n'est en fait que de l'eau chaude avec quelques légumes flottant par-ci par-là. Vous avalez votre soupe en vitesse, peut-être avec un morceau du pain que vous avez reçu le matin. Vous essayez de récupérer un peu de vos forces car le travail va bientôt reprendre.
Un coup de sifflet annonce la fin de la pause. Une fois encore, le travail reprend, toujours à une cadence infernale. L'après-midi est encore plus dure car la faim est omniprésente et les efforts du matin font que vos forces diminuent. Un prisonnier s'écroule, épuisé, et aussitôt des gardes le rouent de coups pour le faire se relever. Si ce malheureux ne se relève pas, il faudra le traîner jusqu'au camp ce soir, pour l'appel du soir... Bientôt d'autres compagnons de misère s'écroulent... La journée est longue, 12 ou 14 heures de travail...
Les prisonniers se rassemblent pour rentrer au camp, les survivants portant les morts et les blessés. Vous vous traînez jusqu'au camp, et peut-être les gardes vous font-ils chanter en chemin. Arrivé au camp, des SS contrôlent le nombre de prisonniers. Nouvelle occasion pour eux de frapper, de tuer...
Tous les prisonniers se rangent à nouveau sur la place d'appel, par rangées de 10. Les kapos comptent les morts et les vivants. Si un prisonnier s'est échappé, tous les prisonniers devront rester immobiles sur la place d'appel jusqu'à ce que l'évadé soit repris. L'appel du soir dure des heures, quelquefois des dizaines d'heures en cas d'évasion ou de punitions collectives. Dans de nombreux camps, l'appel du soir est aussi le moment des punitions et des pendaisons. Souvent, après une pendaison, tous les prisonniers doivent défiler devant le gibet et regarder le pendu...
Deux prisonniers punis. La punition consiste a rester debout, parfaitement immobile, et ce pendant des heures entières.
Le prisonnier qui s'évanouissait ou qui bougeait tout simplement était immédiatement exécuté.
L'appel a enfin pris fin. Vous vous précipitez vers la distribution de "soupe". Tout comme au matin, celle ci donne l'occasion aux kapos de distribuer des coups. Si vous avez eu assez de volonté pour garder un peu de pain du matin, vous le mangerez maintenant, avec la soupe.
Vous retournez enfin vers votre baraque. Le couvre-feu va bientôt retentir et sous aucun prétexte vous ne pourrez quitter votre baraque jusqu'au lendemain. Le "blockfürher" est là. Peut-être vous laissera-t-il tranquille, peut-être pourrez vous enfin vous reposer un peu et vous endormir d'un sommeil de plomb. Mais peut-être décidera-t-il de "s'amuser", de faire faire des exercices physique à tous les prisonniers, de les faire sauter, ramper ou courir dans le block, avec en prime toujours des coups de matraque... Vous vous couchez enfin. Vous êtes à 5 par lit, tellement serrés que si un prisonnier se retourne, tous les autres doivent en faire autant. Vous vous endormez, dans les gémissements des camarades malades ou mourants. Vous avez survécu un jour de plus...